Les structures de financement
La question de la structure financière de l'entreprise relève d'une double logique : celle de la politique financière et celle de la théorie financière.
La structure financière est l'arbitrage entre capitaux propres et dettes, avec l'idée que ce choix peut être optimal.
L'approche traditionnelle a longtemps supposé que la structure financière optimale découlait de l'effet de levier : une entreprise cherchait à se financer par dette car son coût était moindre que le coût du capital (en raison du risque). Mais cette vision a été remise en cause par l'hypothèse d'efficience des marchés financiers et par les développements de l'analyse économique.
La politique d'endettement peut être analysée sous l'angle de la théorie des options : les actionnaires possèdent une option d'achat sur les actions ; les créanciers possèdent une option de vente sur les obligations. Ex : on peut valoriser les titres par la formule de Black & Scholes (1973)
La structure de financement est liée au cycle de vie de l'entreprise. Au démarrage une entreprise a essentiellement besoin de fonds propres ; en période de croissance elle a besoin de capital-risque et de dette bancaire ; quand elle atteint sa maturité elle peut émettre des obligations ; en cas de déclin elle procède à des rachats d'action. Cela découle du risque et des opportunités d'investissement.
La politique d'endettement doit tenir compte de la politique des dividendes. En principe, les créanciers attendent des flux financiers réguliers avec un risque de défaillance (solvabilité) ; alors que les actionnaires ont des flux irréguliers car ils sont créanciers résiduels. La logique du capitalisme financier (compétition internationale pour les capitaux) a poussé les entreprises à mener de vraies politiques de versement de dividendes.
Les facteurs de choix d'une structure financière peuvent être synthétisés, Graham & Harvey (2001) :
- la
flexibilité financière : pouvoir obtenir autant de financement que
nécessaire à tout moment
- le secteur
de l'entreprise : tenir compte du cycle de vie
- les
actionnaires : aversion au risque
- les
opportunités : découlent de la politique d'investissement (imprévisible)
- les
concurrents
La structure financière peut être analysée par la théorie des organisations :
Ex : les pays qui organisent le mieux la protection des actionnaires minoritaires sont plus performants, La Porta, Lopez de Silanes, Shleifer & Vishny (1998) (2000)
Ex : les entreprises familiales sont parfois plus performantes car leur gestion est moins cyclique, Sraer & Thesmar (2007) le montrent pour le marché français
On analyse la structure financière dans un premier temps en faisant l'hypothèse de l'existence de marchés efficients, puis on lève cette vision théorique restrictive dans un second temps.
La
structure de financement avec des marchés efficients
- Structure avec des marchés parfaits
Articles fondateurs : Modigliani & Miller (1958) (1963) suivent la démarche de l'économie néo-classique. Ils proposent un modèle de base avec des hypothèses simplificatrices.
Les marchés parfaits supposent la concurrence pure et parfaite, le prix correspond à la valeur actuelle des flux de trésorerie futurs, absence de fiscalité, absence de coûts de transaction.
Dans ce cadre, Modigliani & Miller formulent deux propositions :
- la structure financière est neutre
C'est une application de la loi de conservation de la valeur : comme la valeur d'une entreprise découle des flux de trésorerie qu'elle est capable de générer, peu importent ses modalités de financement.
Les choix de financement n'influencent pas la valeur de
l'entreprise : ils découlent d'une simple logique d'arbitrage (entre
créanciers et actionnaires).
Lien avec le coût du capital par le MEDAF, Hamada (1969) :
- le risque des actionnaires augmente avec l'endettement
Cela découle de la rentabilité attendue des capitaux
propres.
Tant que l'emprunt est sans risque, la rentabilité attendue des capitaux propres augmente. Quand la dette devient risquée, les créanciers exigent une rentabilité plus élevée : la croissance de la rentabilité des capitaux propres diminue. (On peut tenir le même raisonnement avec les coûts).
Le compromis risque-rentabilité peut s'exprimer par le béta,
Hamada (1972) :
Ce qui explique la rentabilité exigée par les investisseurs.
- Structure avec impôts
A partir de leur modèle de base, Modigliani & Miller
incorporent la fiscalité des sociétés. Comme une société endettée déduit ses
charges financières, elle va réduire son bénéfice imposable.
Lien avec le coût du capital :
Ainsi Valeur de l'entreprise = Valeur de l'entreprise non endettée + Valeur actuelle de l'avantage fiscal
Miller (1977) et Miller & Scholes (1978) tiennent compte de la fiscalité de l'ensemble des investisseurs : impôts sur les dividendes et plus-values...
Soit TD : l'imposition des intérêts
TCP : l'imposition personnelle des
distributions de revenu des actions
TIS : l'imposition au niveau des sociétés
Ainsi Valeur de l'entreprise = Valeur de l'entreprise non endettée + Valeur actuelle de l'avantage fiscal x Dette
Graham (1999) souligne la complexité de l'analyse car cela nécessite de connaître les différentes fiscalités, la durée de détention des titres (...)
La structure de financement : propositions théoriques
Elles découlent des hypothèses de Modigliani Miller qui peuvent être remises en question pour mieux décrire la réalité. Ces théories montrent que les modalités de financement jouent un rôle : il existe des limites à l'usage de la dette. C'est pourquoi on ne constate pas l'existence d'une structure optimale.
- Les coûts de faillite
Une entreprise qui subit des difficultés financières ne va pas pouvoir honorer le paiement de ses dettes. Si les marchés sont parfaits, les difficultés se reflètent dans la valeur de l'entreprise (car les flux de trésorerie vont diminuer).
Or, on constate que l'endettement d'une entreprise va entraîner des coûts liés au risque de défaillance (à relier aux procédures collectives). On distingue :
- Les coûts directs : liés à l'expertise
(avocats, comptables, banques...) LoPucki & Doherty (2004) les estiment à
1,5 % de la valeur de l'entreprise. Ils sont d'autant plus élevés que la
probabilité de faillite augmente.
- Les coûts indirects : perte de clients, de
fournisseurs, de salariés... expriment l'incapacité à mener son activité
normale. Andrade & Kaplan (1998) considèrent qu'ils représentent entre 10 %
et 20 % de perte de valeur.
Ainsi Valeur de l'entreprise =
Valeur de l'entreprise non endettée + Valeur actuelle de
l'avantage fiscal
- Valeur actuelle des
difficultés financières
Les coûts de faillite sont analysés dans la théorie du compromis : selon Leland (1994) le niveau optimal d'endettement est atteint quand l'avantage marginal de la dette égale la valeur actuelle des coûts de faillite.
- Cela permet de mettre en valeur les différences
entre actifs (ex : capital humain, actifs incorporels...)
- Cela permet de comprendre des stratégies
(ex : LBO pour les entreprises matures ; les augmentations de capital
pour les entreprises endettées...)
- Les coûts d'agence
Les asymétries d'information entre dirigeants et fournisseurs de capitaux peuvent entraîner des conflits d'intérêt et des stratégies non optimales (sur ou sous-investissement). Jensen & Meckling (1976) montrent que la structure du capital permet de trouver des solutions aux conflits.
A partir de cet article fondateur, plusieurs propositions :
- la concentration de l'actionnariat, Morck, Shleifer &
Vishny (1989)
- le contrôle par les créanciers, Harris & Raviv (1990)
- prévoir des clauses de sauvegarde, Smith & Warner
(1979)
- limiter les flux de trésorerie disponibles, Jensen (1986)
- maintenir le pouvoir de négociation, Perotti & Spier
(1993)
- réduire la maturité de la dette, Johnson (2003) (...)
L'ensemble des coûts d'agence permet d'établir un niveau de dette optimal :
- La théorie du signal
Pour résoudre les asymétries d'information, les dirigeants vont chercher à émettre un signal sur leur dette. Le but est d'assoir sa crédibilité.
L'augmentation de l'endettement traduit la confiance des dirigeants : ils estiment pouvoir générer des flux qui leur permettent de rembourser leur dette, Ross (1977). A contrario, l'émission d'actions entraîne une baisse des cours.
Ex : Shah (1994) étudie les réactions aux offres d'échanges. Il constate que l'échange actions contre dette augmente le levier et que le rendement de l'action s'accroît. L'échange dette contre actions fait baisser le levier, le rendement diminue.
- Le financement hiérarchique
On parle de la pecking order theory, Myers (1984), elle découle des asymétries d'information : les dirigeants vont recourir à des modalités de financement de manière séquentielle.
- Utiliser en priorité le financement interne.
Ex : autofinancement, liquidités excédentaires de trésorerie (financial slack)
- Ajuster la politique de dividendes. Tenir compte
des investissements et de la volatilité.
- Emettre les titres les moins risqués d'abord.
Ex : dette peu risquée avec garanties, dette risquée, titres hybrides, augmentation
de capital
Ainsi les entreprises les plus rentables utilisent moins de dette, Fama & French (2002). La théorie du financement hiérarchique explique deux phénomènes :
- la révélation de l'information sur la valeur des titres
par les dirigeants, Myers & Majluf (1984).
- la
recherche de marges de manœuvre financière : plus l'entreprise a de choix,
plus elle peut mobiliser de ressources.
Conclusion
En pratique, les entreprises établissent leur structure de capital avec les caractéristiques suivantes :
- la plupart des entreprises ont des ratios d'endettement
faibles, Graham (2000) montre qu'elles ne maximisent pas l'avantage fiscal
- certaines entreprises n'utilisent pas l'endettement de
long terme, Agrawal & Nagarajan (1990) estiment qu'elles ont une forte
aversion au risque
- les structures de capital varient selon les secteurs
- la
plupart des entreprises ont des ratios d'endettement cible, Graham & Harvey
(2001) soulignent qu'il faut tenir compte des impôts, des types d'actifs et de
l'incertitude des résultats opérationnels.
Références
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