Débat et enjeux de la normalisation
Les normes comptables reposent sur des règles à respecter pour tenir les comptes des entités. Elles peuvent provenir de sources nationales ou internationales.
L'intérêt d'établir des normes fait l'objet d'analyses pour apprécier si elles sont utiles et adaptées aux besoins des acteurs économiques. L'évolution des normes présente de nombreux enjeux car elles ont une influence sur la manière d'utiliser ou d'interpréter les comptes.
La question du rôle des normes n'est pas qu'une question de droit, même s'il s'agit également de l'obligation comptable du commerçant ou d'un moyen de preuve, et que l'application du PCG ou des IFRS dépend du statut des sociétés (cotées ou non).
Ainsi, la recherche scientifique et académique a tenté d'éclairer l'intérêt d'adopter des normes et d'en poser les enjeux pour les utilisateurs des comptes.
Principaux débats théoriques
Le cadre de réflexion a été établi par des travaux anglo-saxons de grands auteurs de la comptabilité.
L'ouvrage fondateur est celui de William PATON & Ananias Charles LITTLETON (1940) « An Introduction to Corporate Accounting Standards ».
Sur la base d'une approche historique, ils cherchent à combiner les démarches déductive et inductive (formuler des hypothèses puis les tester ; partir de l'existant puis conceptualiser la démarche. Leur but est de présenter une démarche intégrée de normalisation.
Ils montrent ainsi que la normalisation doit être cohérente, coordonnée et logique : les règles de tenue de comptes doivent respecter une certaine qualité afin de produire des effets. Ils défendent l'idée que la normalisation sert à fournir des informations aux investisseurs.
Un autre grand ouvrage classique est celui de Ross WATTS & Jerold ZIMMERMAN (1986) « Positive Accounting Theory » qui fait suite à deux articles publiés dans The Accounting Review en 1978 et 1979, puis donne lieu à un article de synthèse en 1990 qui prolonge leur réflexion.
La théorie « positive » de la comptabilité relève d'une approche empirique pour comprendre les déterminants et les conséquences de l'information comptable. La théorie positive de la comptabilité montre également l'influence sur les parties prenantes. Elle n'a pas (en principe) une visée « normative », elle veut seulement guider les pratiques
Les auteurs montrent que le choix des normes comptables relève d'un processus de marché (offre / demande / prix / coût) et que le choix des normes comptables relève aussi d'une logique de pression (les acteurs défendent leurs intérêts). Les normes comptables ne correspondent donc pas à des théories scientifiques de validité générale.
Les principaux travaux de recherche en langue française ont été publiés au moment de l'adoption des normes IFRS par l'Union européenne.
Principaux enjeux
C'est par un règlement de 2002 que l'UE a prévu l'adoption du référentiel à partir de 2005.
Ainsi Christian HOARAU (2003) « Place et rôle de la normalisation comptable en France », Revue Française de Gestion montre que l'élaboration des normes internationales constitue une menace pour le dispositif de normalisation à la française. Que ce soit la démarche d'adoption ou les concepts utilisés, les normes IFRS sont très différentes de la logique du PCG.
De même, Bernard COLASSE (2004) « De la résistible ascension de l'IASC/IASB », Gérer & Comprendre rappelle que les normalisateurs sont des organisations privées qui doivent convaincre, leurs choix doivent être légitimes car ils n'ont pas de pouvoir coercitif. L'adoption des normes passe ainsi par une étape de validation par les autorités publiques avant de devenir des règles obligatoires.
L'ouvrage de référence a été dirigé par Michel CAPRON (2005) « Les normes comptables internationales, instruments du capitalisme financier ». Les nombreuses contributions des principaux chercheurs et des principales chercheuses françaises permettent de comprendre que le choix d'adopter les normes IFRS pour les sociétés cotées en Europe est bien plus qu'un choix technique. Ex : approche financière de la valeur ; recul politique… Le fait de mobiliser des institutions extérieures à celles de l'UE est avant tout le fait des difficultés d'harmonisation et a de nombreuses conséquences.
Parmi les grands enjeux que les travaux d'analyse ont pu
mettre en valeur, on soulignera les points suivants :
- l'élaboration des normes internationales repose sur le mécanisme du
« due process » : consultation formelle des parties prenantes ;
- les normes IFRS placent les investisseurs au centre de l'analyse et
mobilisent le concept de la « juste valeur » est l'expression de
l'hypothèse d'efficience des marchés mais a des effets très procycliques ;
- le projet d'extension des normes IFRS aux PME peut être interprétée dans une
logique opportunité / contrainte : cela pourrait donner un cadre commun
mais dont on peut questionner l'intérêt ;
- le rapprochement entre les normalisateurs comptables et leurs méthodes
devient le point clé des processus d'établissement des règles car les entités
vont choisir l'implantation la plus adaptée.
Conclusion
Au final des travaux qui s'orientent dans deux directions :
- politiques d'une part (relations entre autorités comptables, conflits
de normes…)
- empiriques d'autre part (normes concernant l'endettement, les risques
financiers, les différences sectorielles…).
Références bibliographiques :
CAPRON, Michel (dir.) : Les normes comptables internationales, instruments du capitalisme financier, La Découverte, 2005
COLASSE, Bernard : « De la résistible ascension de
l'IASC/IASB », Gérer & Comprendre, 2004
https://www.annales.org/gc/2004/gc75/normes30-40.pdf
HOARAU, Christian : « Place et rôle de la
normalisation comptable en France », Revue française de gestion, 2003
https://shs.cairn.info/article/RFG_147_0033/pdf?lang=fr
PATON, William & LITTLETON, Ananias : An introduction to corporate accounting standards, American Accounting Association, 1940
WATTS, Ross & ZIMMERMAN, Jerold : « Towards a positive theory of the determination of accounting standards », The Accounting Review, 1978
WATTS, Ross & ZIMMERMAN, Jerold : « The demand for and supply of accounting theories : the market for excuses », The Accounting Review, 1979
WATTS, Ross & ZIMMERMAN, Jerold : Positive accounting theory, Prentice-Hall, 1986
WATTS, Ross & ZIMMERMAN, Jerold : « Positive accounting theory : a ten-year perspective », The Accounting Review, 1990
Pour aller plus loin :
CHANTIRI-CHAUDEMANCHE, Rouba & COLASSE, Bernard (dir.) : Normaliser la comptabilité des entreprises Enjeux socio-organisationnels et jeux d'acteurs, EMS Editions, 2019
CHIAPELLO, Ève & DESROSIÈRES, Alain : « La quantification de l'économie et la recherche en sciences sociales : paradoxes, contradictions et omissions. Le cas exemplaire de la positive accounting theory » in L'économie des conventions, méthodes et résultats Tome 1, La Découverte, 2006
COLASSE, Bernard (dir.) : Les grands auteurs en comptabilité, EMS Editions, 2008
PASQUALINI, François & OLIVIER, Henri (dir.) : Vers un nouveau cadre conceptuel pour la comptabilité internationale,Société de législation comparée, 2016