Analyse de la création de valeur et du risque
- La création de valeur outil de diagnostic de la performance
- La notation et le scoring outils de diagnostic des risques
- Valeur économique
- Valeur boursière
L'analyse extra-financière repose sur une réflexion approfondie sur les frontières des entreprises. En principe et juridiquement ce sont les apporteurs de capitaux (stockholders ou shareholders) ; mais il faut tenir compte des parties prenantes tels que les clients, les fournisseurs, les créanciers (stakeholders). C'est un élément important quand on veut analyser la valeur.
Dépassement de la vision microéconomique classique (la firme est une « boîte noire », une fonction de production qui maximise son profit sous contrainte de coût). Depuis Coase (1937) on sait que l'entreprise est une technique d'organisation alternative au marché, une hiérarchie.
- Elle permet de réduire les coûts
de transaction : pour Williamson (1985), la firme est un nœud de contrats
(travail, vente...) autour d'un contrat essentiel (société). Dans cette
configuration le risque est supporté par les actionnaires et les parties prenantes
sont également primordiales.
- Elle permet de révéler l'information : pour Jensen & Meckling
(1976), l'entreprise permet de réduire les asymétries d'information dans le
cadre d'une relation d'agence ; pour Holmström (1999), l'entreprise permet
de mettre en place des contrats incitatifs.
Albouy (2006) expose la théorie de la création de valeur : elle considère que ce sont les actionnaires qui jouent un rôle central et essentiel. Ils sont indispensables à la bonne marche de l'entreprise, ils doivent donc être rémunérés. Mais l'ensemble des parties prenantes ne doit pas être négligé. Leur relation est indissociable.
Poser un diagnostic sur les risques de l'entreprise c'est analyser la possibilité que survienne un fait préjudiciable au bon fonctionnement de l'entreprise. On peut ainsi isoler plusieurs formes de risques :
- Le risque d'exploitation :
lié à la structure des charges ;
- Le risque financier : lié à la structure du passif ;
- Le risque de faillite : lié à la défaillance possible de l'entreprise.
Le risque d'exploitation est la possibilité d'un écart entre le résultat d'exploitation réalisé et le résultat d'exploitation prévu. On peut mesurer l'écart type du résultat d'exploitation pour mesurer sa dispersion et donc le risque. On peut aussi calculer la probabilité d'avoir un résultat négatif...
Le risque financier est l'accroissement du risque d'exploitation dû à l'endettement de l'entreprise. On peut calculer l'écart type de la différence entre le rendement des capitaux propres et le rendement des actifs économiques.
La création de valeur
Il existe de nombreux indicateurs qui permettent de mesurer la performance.
Ex : Cash Flow Return On Investment (CFROI)
On calcule le montant des cash flows d'exploitation (Operating Cash Flows)
CFE = RE (1 - T) + DAP - ΔBFR - IERN
On utilise le Résultat d'Exploitation net
d'impôt (Net Operating Profit After Taxes NOPAT)
On prend en
compte les Investissements d'Equipement et de Renouvellement Nets des dotations
aux amortissements.
On rapporte les
cash flows d'exploitation au montant des actifs économiques utilisés.
Le CFROI doit être supérieur au
Coût Moyen Pondéré du Capital (CMPC) pour qu'il y ait création de valeur.
Ex : Economic Value Added (EVA)
EVA = ROA (1 - T) - CMPC × CI
EVA = (ROIC - CMPC) × CI
CI :
Capitaux Investis
ROIC :
Return On Invested Capital
Il faut donc que la rentabilité des capitaux soit supérieure au CMPC. Il faut couvrir le coût du capital.
Ex : Market to Book ratio
M/B = MV/BK = PER × ROE
MV : Market Value
BV : Book Value
PER :
Price Earning Ratio
Ex : q de Tobin
q = valeur de marché des actifs / coût de remplacement des actifs
Ex : Total Shareholder Return (TSR)

C'est le gain dégagé par une action en capital et en dividendes
Pt : prix de l'action
Dt : dividende
Il faut que le TSR soit supérieur au coût du capital MEDAF.
Ex : Market Value Added (MVA)

- Intérêts et limites de la création de valeur
- Marché de la notation
- Processus de notation
- Analyse de la méthode de notation
- Principes de la méthode des scores
C'est la somme des flux futurs d'EVA actualisés au coût du capital.
k : coût moyen pondéré du capital
Ou plus simplement :
MVA = Capitalisation boursière + Dette - Montant comptable des capitaux propres et de la dette
La création de valeur présente plusieurs traits positifs :
- elle permet de mesurer la performance : qualité de l'investissement boursier, rémunération des dirigeants, analyse des risques...
- elle fournit plus d'informations que l'analyse financière et comptable. Ainsi elle expose l'usage alternatif qui pourrait être fait avec les capitaux.
- elle est plus réaliste. Elle utilise notamment le CMPC.
C'est un mécanisme d'incitation pour les dirigeants et de contrôle pour les actionnaires.
La création de valeur comporte des limites :
- elle survalorise les projets ayant des effets à court terme ;
- elle souffre de la volatilité boursière ;
- elle repose sur des données, des ratios, des retraitements et des hypothèses qui peuvent toujours être remises en cause. Il faut respecter le principe de prudence.
La notation financière
C'est l'évaluation de la solvabilité d'un emprunteur, le rating.
La notation est réalisée par une agence spécialisée (3 opérateurs sur le marché : Standard & Poor's, Moody's et Fitch), par des banques (« credit men » en externe ou en interne), par la Banque de France (cotation) ou par les assureurs crédit (Coface, Euler Hermès), Gaillard (2022).
Les agences attribuent une note aux émissions obligataires ou aux émetteurs eux-mêmes. La plupart des émetteurs sont de grandes entreprises (« corporate »), mais le processus concerne aussi les Etats, les collectivités locales, les institutions financières...
La notation financière est un service vendu par des entreprises. Il tient compte d'une grande variété d'indicateurs qu'il résume de manière simple et synthétique.
Les trois agences de notations dominent le marché du fait de leur statut juridique qui leur permet d'opérer sur le marché financier américain. Elles sont agréées par la SEC. Les régulateurs boursiers se doivent en effet de contrôler leur activité, ainsi en France l'AMF est en charge de cette mission et publie un rapport annuel sur les agences de notation.
La notation joue un rôle important en terme informationnel :
- l'émetteur pourra accéder dans de bonnes conditions au marché financier ;
- les investisseurs possèdent une information simple et utile pour leurs placements ;
- les institutions financières peuvent monter des opérations de titrisation ;
- les régulateurs cherchent à assurer la sécurité des marchés financiers
Mais comme les clients d'une procédure de notation sont les émetteurs, il existe un risque fort de conflit d'intérêt. Il existe des codes de bonne conduite qui prévoient les règles de déontologie à respecter (prévu au niveau mondial par l'Organisation Internationale des Commissions de Valeurs OICV et au niveau européen par le Comité des régulateurs européens CESR) qui reposent donc sur une régulation interne.
Le marché de la notation a connu un fort développement dans les années 1980 pour plusieurs raisons :
- la déréglementation des marchés financiers : création de nouveaux instruments financiers ;
- la baisse des taux d'intérêt : augmentation des émissions obligataires
Dès lors, les entreprises ont émis des obligations à haut rendement car plus risquées : high yield bonds ou junk bonds. Cela a permis d'accroître sensiblement les sources de financement des entreprises mais cela a également contribué à augmenter le risque de défaillance (et la volatilité des marchés financiers), Altman (2002).
La notation est sollicitée par les émetteurs. Elle est très rarement réalisée à l'initiative de l'agence. Les notations sollicitées permettent d'obtenir un accès privilégié aux informations stratégiques de l'émetteur.
Sans notation, un émetteur devra payer une prime de risque élevée pour proposer ses obligations. La note fait l'objet d'un communiqué, elle est accessible à l'ensemble des parties prenantes. Toutefois, il est possible que l'émetteur refuse la communication de la note...
Le processus de notation consiste à évaluer la capacité future de l'entreprise à rembourser sa dette. Il faut tenir compte du risque industriel et du risque financier. Les agences de notation cherchent à tenir compte des évènements probables qui risquent de modifier l'évaluation des risques (ex : une fusion). Ils procèdent alors à des mises sous surveillance (« credit watch »). Celles-ci peuvent être positives ou négatives. Les agences publient également des perspectives sur 2 ou 3 ans.
La méthodologie de notation est connue au préalable et exposée clairement par toutes les agences de rating, elle se compose d'un ensemble d'indicateurs et de ratios significatifs. Il existe une échelle de notation qui décompose le risque en deux grands ensembles :
- la catégorie « investissement » pour les meilleures notes ;
- la catégorie « spéculative » pour les moins bonnes
La notation financière a un impact sur le financement des entreprises :
- la note reflète la probabilité de défaillance de l'entreprise et la garantie juridique de la dette, Reilly & Joehnk (1976)
- la note repose sur des informations publiques, elle modifie le cours des actifs financiers le jour de l'annonce, Weinstein (1977)
- la réaction est plus forte en cas de dégradation de la note, AMF (2006).
La notation financière souffre de deux limites de fond :
- les conflits d'intérêt liés à l'asymétrie d'information entre émetteur et investisseur sont difficiles à dépasser. Les règles déontologiques sont parfois contournées.
- le manque de concurrence sur le marché de la notation. C'est un marché oligopolistique dominé par des entreprises américaines.
La méthode des scores
Elle permet de prendre en compte le risque de défaillance. Les scores servent à diagnostiquer préventivement les difficultés des entreprises.
On utilise un ensemble de ratios pour mesurer les risques encourus par l'entreprise. Les dirigeants pourront prendre les mesures correctives au plus vite.
L'essentiel consiste à sélectionner des ratios et à attribuer un score Z, Altman (1968), à une entreprise en pondérant ces ratios.

- on peut choisir une seule variable explicative
Dans un échantillon aléatoire d'entreprises comparables (par la taille et l'activité) on étudie celles qui ont fait faillite et celles qui sont restées saines.
On cherche à définir une fonction discriminante Z =aR + α
Avec Z = 0 pour la défaillance et Z = 1 pour la survie
On retient le ratio qui a la meilleure corrélation avec le score Z par régression, puis on établit une règle de décision : si Z > à sa moyenne l'entreprise est probablement saine et vice-versa.
- on peut choisir plusieurs variables explicatives
On suppose qu'elles sont interdépendantes, ce qui est plus réaliste.
Soit un échantillon de taille x.
Il faut chercher la valeur des n coefficients qui minimise l'expression :

On annule les n dérivées partielles :

- Méthodes mises en œuvre
- Analyse de la méthode des scores
On obtient un système de n équations à n inconnues de racines a1, a2 ...an. Cela permet d'estimer les coefficients de la fonction. On applique ensuite la même règle de gestion.
La méthode des scores est une méthode probabiliste, le risque de défaillance n'est pas établi de manière totalement fiable. On considère que les scores de l'entreprise appartenant à l'échantillon sont distribués selon une loi normale : il faut donc tenir compte de l'intervalle de confiance (d'incertitude) et de la taille de l'échantillon.
Ainsi plusieurs grandes fonctions scores ont été établies :
- Collongues (1977) utilise un échantillon d'entreprises industrielles ;
- Conan & Holder (1979) utilisent un échantillon de PME industrielles ;
- Bardos (1984) utilise les fichiers de la Banque de France
Aujourd'hui l'influence du big data et des méthodes d'apprentissage profond permettent de renouveler la méthode des scores.
La méthode la plus courante en France est celle des scores de la Centrale des Bilans. Le comportement des entreprises est caractérisé par l'analyse de 19 ratios portant sur 4 domaines : la structure financière, le dynamisme, la rentabilité et la gestion courante.
On isole ensuite les 7 ratios les plus significatifs en fonction du secteur, qu'on applique à une fonction score Z préétablie, car elle mobilise de nombreuses données comptables et financières.
La Centrale des Bilans utilise une méthode séquentielle d'analyse du risque :
- on calcule l'EBE et le ratio Frais Financiers / EBE
- si EBE < 0 ou FF/EBE > 2,15 % on calcule un score Y1 (sinon le score Z)
- si Y1 < -1 il existe un fort risque de défaillance dans les 3 ans (sinon fortes chances de redressement)
- si Z > - 0,25 l'entreprise est saine (sinon on calcule le score Y2)
- si Y2 < - 0,375 il existe un fort risque de défaillance dans les 3 ans
- si Y2 > 0,125 il existe un fort risque de fortes chances de redressement
- si - 0,375 < Y2 < 0,125 c'est une situation d'incertitude
Les scores Y dépendent de l'EBE, des ressources stables, de l'autofinancement, des intérêts, de l'IS et des dividendes.
C'est une méthode objective de prévision qui repose sur l'analyse discriminante, Bardos (2001). Les scores sont un indicateur synthétique facile à utiliser dans une logique prévisionnelle.
Mais le résultat dépend de l'échantillon (il doit être significatif) et de la période de référence (ex : modification des règles comptables). Les scores ne prennent pas en compte les données qualitatives. Les situations moyennes sont mal appréhendées, alors que les conséquences d'un mauvais score sont très importantes.
Conclusion
On peut pratiquer une analyse optionnelle du bilan, car les options sont un droit d'acheter ou de vendre un actif financier à une date ou une période future :
Valeur de l'entreprise = valeur des capitaux propres + valeur de la dette (risquée)
Valeur de l'entreprise = valeur de l'option d'achat des capitaux + (valeur actuelle de la dette sans risque - valeur de l'option de vente de la dette)
Références bibliographiques
ALBOUY, Michel : « Théorie, applications et limites de la mesure de la création de valeur », Revue Française de Gestion, 2006
https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2006-1-page-139.htm
ALTMAN, Edward : "Financial Ratios, Discriminant Analysis and the Prediction of Corporate. Bankruptcy", Journal of Finance, 1968
ALTMAN, Edward : Bankruptcy, Credit Risk and High Yield Junk Bonds, Blackwell, 2002
AMF : L'impact de la notation, Autorité des Marchés Financiers, 2006
https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/publications/rapports-etudes-et-analyses/etude-sur-limpact-de-la-notation
BARDOS, Mireille : « Le risque de défaillance d'entreprise », Cahiers Economiques et Monétaires, 1984
BARDOS, Mireille : Analyse discriminante : Application au risque et scoring financier, Dunod, 2001
BARDOS, Mireille : Développements récents de la méthode des scores, Bulletin de la Banque de France, 2001
https://www.banque-france.fr/fileadmin/user_upload/banque_de_france/archipel/publications/bdf_bm/etudes_bdf_bm/bdf_bm_90_etu_4.pdf
COLLONGUES, Yves : « Ratios financiers et prévision des faillites des petites et moyennes entreprises », Revue Banque, 1977
CONAN, Jo & HOLDER, Michel : Variables explicatives de performances et contrôle de gestion dans les PMI, Thèse de doctorat Paris IX, 1979
COASE, Ronald : La nature de la firme, Revue Française d'Economie, 1937
https://www.persee.fr/doc/rfeco_0769-0479_1987_num_2_1_1132
GAILLARD, Norbert : Les agences de notation, La Découverte, 2022
HOLMSTROM, Bengt : "Managerial incentive problems", Review of Economic Studies, 1999
JENSEN, Michael & MECKLING, William : "Theory of the firm", Journal of Financial Economics, 1976
PAGET-BLANC, Eric & PAINVIN, Nicolas : La notation financière, Dunod, 2007
REILLY, Frank & JOEHNK, Michael : "The Association between Market-Determined Risk Measures for Bonds and Bond Ratings", Journal of Finance, 1976
WEINSTEIN, Mark : "The Effect of a Rating Change Announcement on Bond Price", Journal of Financial Economics, 1977
WILLIAMSON, Oliver : Les institutions de l'économie, Interéditions, 1985